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— Il y a quelquefois loin de la coupe aux lèvres ! répondit-il avec une émotion qui trahissait une pensée intime refoulée au fond de lui-même.

— Mais que voulez-vous dire, Monsieur ?

L’arpenteur n’eut pas le temps de répondre et tomba évanoui sur sa chaise.


XV


Pendant cinq jours le capitaine Vigneault survola par intermittences cette étendue illimitée de forêt résineuse, tantôt s’élevant à une hauteur vertigineuse, tantôt rasant le sol, sans cependant rien apercevoir des deux aviateurs.

Au soir du cinquième jour, avant de descendre pour la nuit, sa vue fut attirée par une double chute d’une imposante hauteur. Entre les deux chutes reposait un petit lac aux eaux tranquilles. Fasciné par cette vue superbe, il survola l’endroit plusieurs fois, puis finalement se laissa glisser mi-conscient entre ces deux précipices. Il laissa tomber immédiatement son ancre, car, malgré l’apparente tranquillité de l’eau, il devina un fort courant qui aurait pu l’entraîner en bas de la chute. Il lâcha quarante-cinq brasses de corde avant de saisir le fond du lac. Il ne lui en restait plus qu’une demi-brasse entre ses mains toutes râpées par le câble, dans la chute précipitée de l’ancre.

Après s’être assuré qu’il était solidement ancré, il s’assit sur son avion, écoutant les mille bruits que font ces deux chutes dont l’une surplombe le lac de trois cents pieds et l’autre se précipite d’une hauteur égale à la première, pour s’engouffrer entre deux rochers escarpés où mugit un torrent tumultueux. Il contempla longtemps cette vue superbe, tout en écoutant les bruits étranges qui semblaient venir de tous les côtés à la fois.

— Bien sûr, dit-il, si je croyais aux revenants, ces bruits me diraient mille choses que ma nature si peu encline aux superstitions me laisse ignorer.