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du bateau de la poste, seul événement de la semaine sortant de l’ordinaire.

La vie réelle du Nord commençait à se dévoiler aux yeux des passagers. La nuit les avait transportés dans un pays tout à fait différent de celui qu’ils avaient vu la veille. De quelque côté que l’on regardât, ce n’était que la forêt sombre d’où émanaient de fortes odeurs de cèdre, de sapin, d’épinette, de mélèze et de pin gris. Au fond des baies immenses, espacés d’une dizaine de milles, s’échelonnent de petits villages de pêcheurs, construits en lisière d’une forêt sévère. Un silence de mort plane au-dessus de ces montagnes boisées, sur lesquelles la hache du bûcheron ne semble pas encore avoir exercé son ravage, du moins sur le littoral. L’intérieur, cependant, doit être passablement entamé si on en juge par l’abondance de billes à pulpe qui descendent les rivières, pour être chargées sur des barges à destination des États-Unis par voie des Grands Lacs.

Le cœur d’Angéline Guillou se dilatait à la vue de cette grandiose nature qu’elle revoyait après cinq ans d’absence. Debout sur la proue du navire, elle se soulevait sur la pointe des pieds, comme si elle eût voulu voir son village par-dessus les montagnes ; ses yeux brillaient de joie à la pensée que le lendemain, vers les quatre heures, elle se jetterait dans les bras de sa mère. Jamais les jours ne lui avaient paru si longs, ni son pays, si beau. Elle allait enfin revoir ce village ; ces braves familles de pêcheurs dont la sienne était l’image ; qui vivent de peu en se contentant de peu. Elle se mit à fredonner tout bas la chanson favorite des jeunes pêcheurs, partant aux petites heures pour la pêche :


wwwwwwwwwwwwwww La brise enfle notre voile : wwwwwwwwwwwwwww
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wwwwwwwwwwwwwww Tous tes bruits viennent de se taire. wwwwwwwwwwwwwww
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