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— C’est que,… c’est que… vous avez l’air… pas triste ; mais un peu anxieuse ?

— Ah ! non, Monsieur le Capitaine ; ce sont de petits nuages qui passent, comme dans notre beau ciel canadien, mais qui ne laissent aucune trace après eux. Trop de joies à la fois causent quelquefois une dépression ; c’est le seul malaise que je ressente en ce moment.

— Ça ne sera pas bien long à présent, répondit le capitaine d’un air sympathique.

Le bateau fit escale à Godbout, coquet petit village situé sur la baie du même nom. Le déchargement de la marchandise permit aux passagers de débarquer pour se délasser un peu sur la terre ferme.

Clarke-City fut atteint tard dans la nuit et le bateau demeura au quai jusqu’à sept heures du matin, pour attendre la marée permettant de traverser aux Sept-Iles.

Pendant de longues heures, le bruit des grues déchargeant la marchandise empêcha les passagers de dormir.

La nuit était calme ; de ce calme inquiétant qui précède les tempêtes. Les étoiles étincelaient de clarté sur un fond de firmament bleu foncé, d’où la voie lactée, éclairant faiblement la nuit, se profilait indéfiniment. La voix du capitaine qui ne cessait de crier :

— Ho les gas ! Dépêchez-vous ; on va manquer la marée de sept heures ! se répercutait dans le lointain.

Le hurlement des chiens des Sept-Îles, qui, toute la nuit, font un vacarme infernal quand arrive le bateau de la poste ou qu’ils pressentent une tempête, énerva les passagers qui n’avaient pas l’habitude de cette sinistre sérénade.

(La Baie des Sept-Îles, assez vaste pour abriter la flotte anglaise, tire son nom des sept îles qui ferment son entrée et dont toutes les issues sont invisibles à l’œil du profane. Ces îles sont d’immenses rochers multicolores, qui sont là comme des sentinelles gardant l’entrée de la baie. Il en prend une heure au moins pour en sortir et l’intérêt du voyageur ne ralentit pas un instant, pendant les pérégrinations du bateau à travers ce dédale).