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Que tu lui voues encore tes conseils et ton bras.

   Mais il offrait argent et mainte récompense,
Et même des honneurs, l’engageant à servir ;
Corret les refusa, bornant son exigence
À son droit, seul objet qu’il voulut obtenir.

   Breton ! lui dit Carnot, je ne partage guère
Tes motifs de refus, ils n’ont point de raison ;
Ton âme serait-elle ou trop grande ou trop fière
Pour accepter de nous quoique ce soit en don ?

   Nullement, citoyen, je ne suis sous l’empire
Ni de la honte ni de la moindre fierté ;
Je te répéterai donc que je ne désire
Que ce qui m’est acquis et dûment constaté.

   Néanmoins j’ai besoin très-pressant de chaussure ;
Car, on le voit, bientôt je marcherai nu-pieds,
Puisque la nation le permet, je t’adjure
De me faire présent d’autres meilleurs souliers.

   Les directeurs, surpris d’entendre son langage,
Et voyant qu’il était surtout bien résolu ;
Lui firent délivrer, pour vivre en son village,
Huit cent livres par an, bien faible revenu.

   À la paix succéda bientôt encor la guerre ;
Un parent de Corret, Le Brigant, appelé,
En était alarmé, car ce malheureux père
Du dernier de ses fils allait être privé.

   D’onze fils, qu’il avait, le destin des batailles
En avait moissonné dix ; pour le consoler
De sa douleur, après ces tristes funérailles,
Un seul fils lui restait, on allait l’appeler !

   Malgré tout les efforts, les larmes de son père,
Puisqu’on le jugeait propre au métier de soldat,
Il fallait obéir à la loi militaire,
Et partir au plus tôt pour défendre l’État.

   Le Brigant était pauvre, et l’on ne pouvait guère
Payer les remplaçants qu’avec des flots d’argent ;
Corret le consola de sa douleur amère,
En partant pour son fils, comme humble remplaçant.

   Corret, malgré le poids de ses cinquante années,
Était vert et gaillard ; ses cheveux grisonnants
Ne laissaient nul plus jeune, en toutes nos armées,
S’acquitter mieux que lui du service des camps.