Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Hélas ! ainsi que vous j’invoquai l’Espérance ;
Mon esprit abusé but avec complaisance
Son philtre empoisonneur :
C’est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes,
De festons et de fleurs couronne les victimes
Qu’elle livre au Malheur.

Si du moins au hasard il décimait les hommes,
Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes
Avec d’égales lois !
Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes,
La beauté, le génie, ou les vertus sublimes,
Victimes de son choix.

Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices
Des troupeaux innocents les sanglantes prémices
Dans leurs temples cruels,
De cent taureaux choisis on formait l’hécatombe,
Et l’agneau sans souillure, ou la blanche colombe,
Engraissaient leurs autels.

Créateur tout-puissant, principe de tout être ;
Toi pour qui le possible existe avant de naître,
Roi de l’immensité,
Tu pouvais cependant, au gré de ton envie,
Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie
Dans ton éternité !

Sans t’épuiser jamais, sur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu :
L’espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte.
Ah ! ma raison frémit ! tu le pouvais sans doute,
Tu ne l’as pas voulu.