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tant d’amertume à ses accents, tant de mélancolie à ses vers. Cette mélancolie même était un attrait de plus pour mon cœur.

Quelques jours après je lus, dans un recueil périodique de Genève, quelques fragments traduits du Corsaire, de Lara, de Manfred. Je devins ivre de cette poésie. J’avais enfin trouvé la fibre sensible d’un poëte à l’unisson de mes voix intérieures. Je n’avais bu que quelques gouttes de cette poésie, mais c’était assez pour me faire comprendre un océan.

Rentré l’hiver suivant dans la solitude de la maison de mon père à Milly, le souvenir de ces vers et de ce jeune homme me revint un matin à la vue du mont Blanc, que j’apercevais de ma fenêtre. Je m’assis au coin d’un petit feu de ceps de vigne que je laissai souvent éteindre, dans la distraction entraînante de mes pensées ; et j’écrivis au crayon, sur mes genoux, presque d’une seule haleine, cette méditation à lord Byron. Ma mère, inquiète de ce que je ne descendais ni pour le déjeuner ni pour le dîner de famille, monta plusieurs fois pour m’arracher à mon poëme. Je lui lus plusieurs passages qui l’émurent profondément, surtout par la piété de sentiments et de résignation qui débordait des vers, et qui n’était qu’un écoulement de sa propre piété. Enfin, désespérant de me faire abandonner mon enthousiasme, elle m’apporta de ses propres mains un morceau de pain et quelques fruits secs, pour que je prisse un peu de nourriture, tout en continuant d’écrire. J’écrivis en effet la méditation tout entière, d’un seul trait, en dix heures. Je descendis à la veillée, le front en sueur, au salon, et je lus le poëme à mon père. Il trouva les vers étranges, mais beaux. Ce fut ainsi qu’il apprit l’existence du poëte anglais, et cette nature de poésie si différente de la poésie de la France.

Je n’adressai point mes vers à lord Byron. Je ne savais de lui que son nom, j’ignorais son séjour. J’ai lu depuis, dans ses Mémoires, qu’il avait entendu parler de cette méditation d’un jeune Français, mais qu’il ne l’avait pas lue. Il ne savait pas notre langue. Ses amis, qui ne la savaient apparemment pas mieux, lui avaient dit que ces vers étaient une longue diatribe contre ses crimes. Cette sottise le réjouissait. Il aimait qu’on prît au sérieux sa nature surnaturelle et infernale ; il prétendait à la renommée