Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/207

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en France. Recommandée à Mirabeau, elle connut par lui Sieyès, Joseph Chénier, Danton, Ronsin, Brissot, Camille Desmoulins. La jeunesse, l’amour, la vengeance, le contact avec ce foyer d’une révolution, avaient échauffé sa tête. Elle vécut dans l’ivresse des passions, des idées et des plaisirs. D’abord attachée aux grands novateurs de 89, elle s’attacha ensuite aux riches voluptueux qui payaient chèrement ses faveurs. Courtisane de l’opulence, elle devint la prostituée volontaire du peuple. Comme la grande courtisane d’Égypte, elle prodigua à la liberté l’or qu’elle enlevait au vice.

Dès les premiers soulèvements, elle descendit dans la rue. Elle consacra sa beauté à servir d’enseigne à la multitude. Vêtue en amazone d’une étoffe couleur de sang, un panache flottant sur son chapeau, le sabre au côté, deux pistolets à la ceinture, elle vola aux insurrections. Au premier rang, elle avait forcé les grilles des Invalides pour en enlever les canons. La première à l’assaut, elle était montée sur les tours de la Bastille. Les vainqueurs lui avaient décerné un sabre d’honneur sur la brèche. Aux journées d’octobre, elle avait guidé à Versailles les femmes de Paris. À cheval à côté du féroce Jourdan, qu’on appelait l’Homme à la longue barbe, elle avait ramené le roi à Paris ; elle avait suivi sans pâlir les têtes coupées des gardes du corps servant de trophées au bout des piques. Sa parole, quoique empreinte d’un accent étranger, avait l’éloquence du tumulte. Elle élevait la voix dans les orages des clubs, et gourmandait la salle du haut des galeries. Quelquefois elle haranguait aux Cordeliers. Camille Desmoulins parle de l’enthousiasme qu’une de ses improvisations y excita. « Ses images, dit-il, étaient empruntées de Pindare et de la