Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/417

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de ces prisonniers, leurs armes, les cartes d’entrée aux Tuileries saisies sur eux, prouvaient en effet que c’étaient des gardes nationaux, des volontaires dévoués au roi, envoyés aux environs du château pour éclairer la défense. À mesure qu’on les avait arrêtés, on les avait jetés dans le poste de la garde nationale élevé dans la cour des Feuillants. À huit heures, on y amena un jeune homme de trente ans en costume de garde national. Sa figure fière, irritée, l’élégance martiale de son costume, l’éclat de ses armes et le nom de Suleau, odieux au peuple, nom que quelques hommes murmuraient en le voyant passer, avaient attiré les regards sur lui.

C’était en effet Suleau, un de ces jeunes écrivains royalistes qui, comme André Chénier, Roucher, Mallet-Dupan, Sérizy et plusieurs autres, avaient embrassé le dogme de la monarchie au moment où il semblait répudié par tout le monde, et qui, séduits par le danger même de leur rôle, prenaient la générosité de leur caractère pour une conviction de leur esprit. La liberté de la presse était l’arme défensive qu’ils avaient reçue des mains de la constitution, et dont ils se servaient avec courage contre les excès de la liberté. Mais les révolutions ne veulent d’armes que dans la main de leurs amis. Suleau avait harcelé les partis populaires, tantôt par des pamphlets sanglants contre le duc d’Orléans, tantôt par des sarcasmes spirituels contre les Jacobins ; il avait raillé cette toute-puissance du peuple, qui n’a pas de longues rancunes, mais qui n’a pas non plus de pitié dans ses vengeances.

La populace haïssait Suleau comme toute tyrannie hait son Tacite. Le jeune écrivain montra en vain un ordre des commissaires municipaux qui l’appelait au château. On le