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phée. Le fidèle domestique rechercha le cadavre et rendit ces restes défigurés à la jeune épouse de Suleau, mariée seulement depuis deux mois, fille du peintre Hall, célèbre par sa beauté, et qui portait dans son sein le fruit de cette union.

Pendant la lutte de Suleau avec ses assassins, deux des prisonniers soustraits à l’attention du peuple parvinrent encore à s’évader. Un seul restait : c’était le jeune du Vigier, garde du corps du roi. La nature semblait avoir accompli en lui le type de la forme humaine. Sa beauté, admirée des statuaires, était devenue un surnom ; elle arrêtait la foule dans les lieux publics. Aussi brave que beau, aussi adroit que fort, il employa pour défendre sa vie tout ce que l’élévation de la taille, la souplesse des muscles, l’aplomb du corps ou la vigueur des bras pouvaient prêter de prodige au lutteur antique. Seul et désarmé contre soixante, cerné, abattu, relevé tour à tour, il sema son sang sur toutes les dalles, il lassa plusieurs fois les meurtriers, il fit durer sa défense désespérée plus d’un quart d’heure. Deux fois sauvé, deux fois ressaisi, il ne tomba que de lassitude et ne périt que sous le nombre. Sa tête fut le trophée d’un combat. On l’admirait encore au bout de la pique où ses sicaires l’avaient arborée. Tel fut le premier sang de la journée : il ne fit qu’altérer le peuple.