Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/114

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Ainsi quand deux ruisseaux serpentant dans les prés,
Par un étroit rivage en coulant séparés,
Réfléchissant chacun dans leur ombre diverse
Leurs bords, leur firmament et ce qui les traverse :
Si, par un jour d’été, la bêche des pasteurs
Fait écrouler entre eux la muraille de fleurs,
Leur onde emprisonnée et leurs flots qui s’appellent,
L’un vers l’autre attirés, s’étendent et se mêlent ;
Sous leur commun cristal ils effacent leur bord,
Leur course au même pas n’a plus qu’un seul accord ;
Et comme pour leur lit il n’est plus qu’un rivage,
Dans leur vague mêlée il n’est plus qu’une image !
Ainsi ces deux enfants, dont l’obstacle des sens
Séparait la pensée en deux, faute d’accents,
Quand, par instinct parlée et par amour apprise,
La parole de l’un par l’autre fut comprise,
Reflétant en commun l’univers autour d’eux,
Parurent n’avoir plus qu’une âme au lieu de deux.

Daïdha sur les monts ou sur les bords du fleuve,
Tous les jours depuis lors renouvela l’épreuve ;
Et l’esclave bientôt, enseigné par l’enfant,
Et de son ignorance à sa voix triomphant,
Posséda des humains ce sublime langage,
Où chaque verbe était la chose avec l’image :
Langage où l’univers semblait se révéler,
Où c’était définir et peindre que parler ;
Car l’homme n’avait pas encor, dans son délire,
Brouillé ce grand miroir où Dieu l’avait fait lire,