Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/129

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Car si ce doux travail était interrompu,
Si des cheveux tissés un seul était rompu,
La trame, s’échappant des doigts de l’ouvrière,
Comme un filet sans nœuds s’écoulait tout entière ;
Et la beauté soudain regardait tout en pleurs
À ses pieds ce monceau de plumes et de fleurs.

Or, au moment précis où la trame qui glisse
Demande plus de soin à la main qui la tisse,
À la porte de l’antre un grand bruit s’entendit ;
Une femme à grands pas se précipite, et dit :
« Asgor, fils d’Abniel, est tombé dans le fleuve ! »
Et Selma, qui feignait, pour accomplir l’épreuve.
Levant les bras au ciel, fit un cri de douleur.
L’effroi sur Daïdha répandit sa pâleur :
Une larme roula témoin de sa pensée,
Et sa main suspendit la trame commencée.
Mais il ne tomba pas une fleur de sa main,
Et ses doigts tout tremblants la reprirent soudain.

Une autre vint, et dit : « Abna, j’en tremble encore !
Dans le fond des forêts un lion le dévore !
Ses frères, dont sa mort a glacé les regards,
Pour les ensevelir cherchent ses os épars. »
À cet affreux récit les femmes se troublèrent,
Les larmes, les clameurs, les gestes redoublèrent ;
Sur ses genoux émus l’enfant fléchit un peu,
Mais l’aiguille trembla sans rompre un seul cheveu.