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Aux genoux de Phayr, Selma dans son courroux
Cria : « Tuons l’esclave, ou l’opprobre est sur nous ! »
Mais le vieillard lui dit : « Ô cœur léger de femme,
Quel crime a-t-il commis pour une mort infâme ?
Si ma pierre aujourd’hui tombe, est-ce que demain
Tes lèvres sans horreur pourront toucher ma main ?
Est-ce un crime au lion d’étaler sa crinière ?
Est-ce un crime au soleil d’éblouir la paupière ?
Est-ce un crime à Cédar si son front prosterné
À séduit d’un enfant le regard fasciné ?
Ai-je donc tant vécu pour ignorer, ô femmes !
Qu’un regard de pitié n’enlace pas vos âmes,
Et que le cours du fleuve est moins capricieux
Que le cœur d’un enfant pris d’amour par les yeux ?
Crois-moi, ce qu’un vent porte, un autre vent l’enlève ;
Chaque heure a sa pensée, et chaque nuit son rêve :
L’âge éteint de lui-même un feu sans aliment.
Sépare quelques jours la fille de l’amant :
Envoyons-le garder sur la montagne sombre
Ces troupeaux dont ses soins ont augmenté le nombre ;
Tiens ta fille captive et seule, loin de lui,
Jusqu’à ce que ses yeux aient noyé son ennui.
Un autre amour naîtra ; car le cœur est une onde
Qui jamais ne tarit, murmurante et profonde,
Et qui, lorsque la main s’oppose à ses détours,
Se creuse un autre lit et prend un autre cours. »
Puis touchant ses cheveux de sa main paternelle,
Comme un lion clément qui lèche une gazelle,
Avec de tendres mots dont l’accent la calma,
Il assoupit le cœur et les yeux de Selma.