Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/139

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Celui qui, dépassant les épaules mortelles,
Semblait un dieu dont l’homme aurait volé les ailes,
Je me disais, le front, devant toi prosterné :
« C’est pour l’amour de moi qu’il languit enchaîné !
» C’est pour moi que ce front dont mes yeux sont le culte
» Obéit sans murmure à l’enfant qui l’insulte ;
» C’est pour moi qu’à jamais il se laisse fouler
» Par ceux que d’un seul geste il a fait reculer ! »
Et mon cœur indigné se haïssait lui-même
Pour avoir de son rang dégradé ce qu’il aime :
Et j’aurais tout donné cent fois pour secouer
Ces chaînes de ton corps, ou pour m’y dévouer.
Tes bras ennoblissaient à mes yeux ces entraves,
Et pour les partager j’enviais les esclaves !
Et de ta servitude épousant chaque affront,
Sur mes genoux meurtris je me frappais le front ;
Et mes yeux ruisselaient comme deux sources pleines,
Et mon sein étouffait et coupait mes haleines,
Et des soleils entiers je sanglotais tout bas
Pour que tes pieds vers moi ne se tournassent pas !
Et, de peur d’éveiller contre toi d’autres haines,
Je lavais au retour mes yeux dans les fontaines ;
Derrière mes regards j’enfonçais mon chagrin,
Et le nuage au cœur laissait mon front serein.

» Mais à quoi m’a servi ma prudence insensée ?
Mes mains à ton nom seul ont trahi ma pensée.
J’ai méprisé leurs fils ; ils ont appris pourquoi :
Leur lâche inimitié va se venger sur toi.