Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/158

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On vole au-devant d’eux, on les suit, on les presse ;
Sur ses pieds, pour les voir, l’enfant même se dresse ;
D’un cercle palpitant les ondulations
Les lassent à la fois d’interrogations.
Les mères à l’envi, de leurs mains curieuses,
Lèvent furtivement l’acanthe et les yeuses.
Sur la grève du fleuve, aux bords vaseux de l’eau,
On dépose à leurs pieds le délicat fardeau.
Jusque dans le flot bleu, dont l’écume le mouille,
Des femmes, des enfants, la foule s’agenouille.
Pour ce couple innocent qui palpite à leurs piés
Leurs surprises bientôt se changent en pitiés ;
Elles tendent les bras à ces mains qu’ils leur tendent,
Aux mamelles déjà des mères les suspendent,
Et s’enviant des yeux les jumeaux à nourrir,
Les disputent au sein qu’ils sont prêts à tarir.
Mais Zebdor, arrachant les enfants à ces mères,
Et les apostrophant d’invectives amères :
« Créatures de lait et de pleurs ! leur dit-il,
Qu’un enfant de deux nuits mènerait par un fil ;
Lâches qui n’avez rien dans la tête, à toute heure,
Que de l’eau pour pleurer avec tout ce qui pleure !
Laissez vos maîtres seuls décider de leur sort,
Et, s’ils doivent mourir, n’allaitez pas la mort !
Savez-vous quel forfait ou quel monstre peut-être
Les a conçus dans l’ombre et leur a donné l’être ?
Aveugles ! savez-vous si vous ne donnez pas
Le lait sacré de l’homme aux scorpions sous vos pas ?
Si ces serpents cachés sous des formes humaines
N’empoisonneront pas votre sein de leurs haines ?