Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/162

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Femmes, vos seins remplis laisseront-ils mourir
Ces bouches que l’hyène aurait voulu nourrir ?
Oh ! prenez-moi, frappez !… qu’à vos seins je les voie,
Mères ! du lait pour eux… et je meurs avec joie ! »
Mais les mères fuyaient et détournaient les yeux
De ces fils de l’esclave à leur race odieux.
Femmes, vierges, enfants et Selma la première,
Lui jetaient sur le front l’opprobre et la poussière.
Tous les mots qu’en passant leurs bouches lui disaient
Comme d’autant de coups de pierre l’écrasaient,
Et du supplice affreux que leur fureur devance
Avec ses fils maudits la lapidaient d’avance.
Enfin à quelques pas le cercle se forma,
Et le conseil jugea la fille de Selma :
À mourir pour sa honte elle fut condamnée
Avec l’indigne époux qui l’avait profanée,
Et les coupables fruits de leur infâme amour,
Dont l’existence impie offenserait le jour.
Seulement, en faveur de ce vieux roi, son père,
On changea le supplice et non pas la colère ;
Et, de peur que son sang ne tachât quelque main,
Elle fut dévouée à la tour de la faim.

C’était une prison, une tombe vivante,
Que l’on formait de boue et de pierre mouvante,
Et que l’on élevait comme une large tour,
Sans toit et sans fenêtre, et sans issue autour,
De sorte qu’enfermé dans cette ombre profonde,
Ce haut mur séparait le coupable du monde,