Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/181

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Cependant de la tour chaque pierre qu’il lance
Sert l’amour de Cédar, en servant sa vengeance ;
Chacun des blocs roulant de sa terrible main
Du sommet à la base abrége le chemin.
Daïdha, que la voix de son époux ranime,
Lève vers lui les bras du fond du noir abîme.
Il s’y jette vainqueur avec enivrement ;
Il craint de l’étouffer dans ses embrassements ;
Pour mieux la savourer, son cœur suspend sa joie :
Sur ses bras assouplis il prend sa triple proie ;
Et, comme dans la feuille on emporte les fruits,
Sur le sein de leur mère il soulève ses fils.
D’un pied dont ce doux poids redouble l’énergie,
Il foule les débris de la brèche élargie ;
Il touche enfin la terre, il s’élance dehors ;
De ses mille ennemis ses pieds pressent les corps,
Et portant Daïdha loin du sol de carnage,
Dans son sein en passant il cache son visage.

Sur la scène d’horreur sans jeter un regard,
Sous la nuit des forêts il s’enfonce au hasard.
Il semble que son pied, que l’horreur précipite,
Ne peut loin de ces bords l’emporter assez vite ;
Il voudrait enlever au ciel, heureux vainqueur,
Ces trois fronts adorés qui battent sur son cœur !
Chaque fois que son bras ou sa jambe chancelle,
Il puise dans leurs yeux une force nouvelle ;
Vers de nouveaux sommets il reprend son essor ;
Nul lieu n’est assez sûr pour cacher son trésor.