Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/296

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Tant servi, tant trahi de maîtres couronnés,
Pour des maîtres futurs d’avance abandonnés ;
Il avait tant flairé sur des ondes limpides
Du vent encor dormant les invisibles rides,
De tant de dieux rivaux soufflé les passions,
Et tant vu remuer de flux de factions,
Qu’à chaque mouvement de la vivante houle
Un flot l’avait d’en bas soulevé dans la foule,
Laissé tomber, repris, laissé, repris cent fois,
Jeté comme une écume au piédestal des rois !

Nul sentiment humain, battant dans sa poitrine,
N’avait fait dans sa marche hésiter sa doctrine,
Dans son chemin couvert pitié ni repentir
N’avait pu seulement d’un pas le ralentir.
Pour l’ami renversé, sans regard et sans honte,
L’homme n’était pour lui qu’un échelon qu’on monte,
Dont on repousse, après, le corps avec mépris.
Les hauteurs du pouvoir sont faites de débris.
Il riait dans son cœur de l’imbécile foule
Qui s’arrête à compter les corps morts qu’elle foule :
« Quand au faîte escarpé l’on dirige ses pas,
Malheur, se disait-il, à qui regarde en bas ! »
C’est ainsi que, planant sur sa caste insensée
De toute la hauteur de sa froide pensée,
Jusqu’au trône céleste il s’était élevé.
Tel un miasme impur des marais soulevé,
Traînant sur les bas lieux sa masse infecte et sombre,
De la fange exhalé croupit longtemps dans l’ombre,