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Le vieillard soupçonneux ne recevait que d’elle
Le breuvage effleuré par sa lèvre fidèle.


Sur la fin du banquet, quand les sens alourdis
D’ivresse et d’aliments paraissaient engourdis,
Que les regards distraits et la lèvre rougie
Semblaient préparer l’âme au comble de l’orgie,
Digne délassement de leurs affreux loisirs,
Un spectacle effréné variait leurs plaisirs.
Ce n’était pas ce jeu, cette feinte torture
Où l’art sur le théâtre imite la nature,
Où le rire et les pleurs, le sang et le poignard,
Font frissonner la foule en trompant le regard,
Des scènes de la vie ingénieux emblème :
Leur spectacle, c’était la nature elle-même,
La nature surprise en ses impressions,
Avec ses cris réels, son sang, ses passions,
Ses plus intimes voix sous le coup éclatantes,
Et ses fibres à nu devant eux palpitantes !
Le peuple fournissait le drame et les acteurs.
Préparant la surprise aux divins spectateurs,
Un de ces vils tyrans, ourdissant cette trame,
Fatiguait sa pensée à composer le drame,
Et, choisissant pour scène un meurtre intéressant,
Il le faisait jouer sous leurs yeux jusqu’au sang.
Pour que l’illusion fût le plaisir suprême,
Il fallait que l’acteur en fût dupe lui-même,
Et, victime ignorant l’artifice odieux,
Jouât, sans le savoir, son sang devant les dieux.