Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/430

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Il prit un des enfants sur chacun de ses bras,
Et marcha sans savoir où le menaient ses pas
Daïdha, regardant l’horizon et sa brume,
Le désert qui poudroie ou le brouillard qui fume,
Montrant avec un cri son espoir de la main,
Le faisait revenir cent fois sur son chemin,
Voyant dans les vapeurs, sous son regard de mère,
Surgir à l’horizon chimère sur chimère :
À tous ces buts changés leur force succombait ;
D’un poids plus lourd sur eux le doute retombait ;
Sans cesse un repentir ramenait en arrière
Leurs pieds, dont les erreurs centuplaient la carrière ;
Puis, saisis tout à coup d’un nouveau repentir,
On les voyait s’asseoir, se lever, repartir.
Le soleil cependant, suspendu dans sa voûte,
Marquait de leur sueur les haltes de leur route ;
De leurs membres trempés leur vigueur ruisselait.
Daïdha se frappait les seins vicies de lait :
Au lieu du blanc nectar dont son malheur les sèvre,
Arrachant à Cédar ses enfants, sur leur lèvre
Elle faisait couler, pour les désaltérer,
Ses larmes, lait du cœur que les yeux font filtrer !
Mais le sel de ses pleurs, qui rend cette onde amère,
Détournait les petits des baisers de leur mère
« Flanc qui les as portés, les laisses-tu mourir ?
Sein qui les a conçus, ne peux-tu les nourrir ?
Criait-elle en voyant toutes ses ruses vaines.
Oh ! s’ils voulaient du sang, je m’ouvrirais les veines ! »
Et déchirant sa peau de son ongle impuissant :
« Que n’êtes-vous lions ? vous lécheriez ce sang ! »