Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/176

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située à l’angle occidental du mont Aracynthe, ces braves, après avoir peigné leurs belles chevelures, suivant l’usage immémorial des soldats de la Grèce, conservé jusqu’à nos jours, se lavent dans les eaux de l’antique Aréthuse, et, revêtus de leurs plus riches ornements, ils demandent à s’unir par les liens de la fraternité, en se déclarant Ulamia. Un ministre des autels s’avance aussitôt. Prosternés au pied de la croix, ils échangent leurs armes, ils se donnent ensuite la main en formant une chaîne mystérieuse ; et, recueillis devant le Dieu rédempteur, ils prononcent les paroles sacramentelles : Ma vie est ta vie, et mon âme est ton âme. Le prêtre alors les bénit ; et ayant donné le baiser de paix à Marc Botzaris, qui le rend à son lieutenant, ses soldats, s’étant mutuellement embrassés, présentent un front menaçant à l’ennemi.

» C’était le 4 novembre 1822, au lever du soleil : on apercevait de Missolunghi et d’Anatolico le feu du bataillon immortel, qui s’assoupit à midi. Il reprit avec une nouvelle vivacité deux heures après, et diminua insensiblement jusqu’au soir. À l’apparition des premières étoiles, on aperçut dans le lointain les flammes des bivouacs ennemis dans la plaine ; la nuit fut calme ; et, le 5 au matin, Marc Botzaris rentra à Missolunghi, suivi de vingt-deux Souliotes ; le surplus de ses braves avait vécu.

» À la faveur de cette héroïque résistance, le président du gouvernement, Maurocordato, avait approvisionné Missolunghi, et fait embarquer pour le Péloponèse les vieillards, les femmes et les enfants. Marc Botzaris voulait pourvoir de la même manière à la sûreté de sa femme et de ses enfants ; mais Chrysé, son épouse, ne pouvait se résoudre à l’abandonner : elle lui adresse les adieux les plus déchirants ; elle tombe à ses pieds avec les timides créatures qui le nommaient leur seigneur et leur père. Marc Botzaris les bénit au nom du Dieu des batailles. Il les accompagne ensuite au port, il suit des yeux le vaisseau ; il tend les bras à sa femme. Hélas ! il la quittait pour la dernière fois. Il périt, peu de temps après, dans une bataille nocturne contre les Turcs, et sa mort fut aussi glorieuse, aussi sainte que sa vie. »


Kanaris. — Le Thémistocle de l’insurrection grecque, né à Psara, âgé de trente à trente-deux ans, d’une petite taille, l’œil