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HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES.

dans ces beaux bois routés qui bordent l’Arno. Ils s’étaient interdit le mariage, de peur de laisser après eux des enfants dénués de biens et de patrie. Leur amour n’était qu’une amitié passionnée, une habitude douce, une résignation à deux dans la douleur. La pureté de ce sentiment en avait conservé la fraîcheur : ils se voyaient toujours à vingt ans.

Quelques années après, je fus assez heureux pour fixer le sort d’Antoir et pour le rassurer sur son avenir. Il épousa celle qu’il aimait. Je fus le témoin de son bonheur tardif. Il acheta une petite maison et un petit jardin sur la poétique colline de Fiesole, le Tibur de Florence. Il y transporta ses herbiers, ses tableaux, ses recueils de dessins des grands maîtres florentins, qu’il avait amassés pendant quarante ans avec une patience et une ponctualité de cénobite. Il y cultiva ses légumes et ses fleurs, content de peu, dans le sein de la nature, de l’amour, de la prière. La solitude à deux était sa vocation ; il l’avait atteinte à la fin. Sa nature était trop timide, trop délicate, trop facile à froisser, pour supporter le rude contact des événements, des choses, des hommes. On sentait en lui l’exilé condamné à baisser le front et à chercher en vain sa place, dès son enfance, parmi les étrangers ; dépaysé partout, et portant sa seule patrie dans son cœur.

Dieu le laissa jouir quelques années de son bonheur et de son jardin de Fiesole ; puis il mourut, laissant un souvenir doux à tout le monde. Sa femme m’écrivit pour me dire l’adieu qu’il m’avait adressé par elle en partant, et pour me renvoyer ces vers. Si je revois jamais les collines de Fiesole, que j’ai si souvent montées avec lui en récitant des vers de Dante, en écoutant les aventures de Bianca Capella, j’irai chercher son nom sous quelque dalle du campo santo de ce village, et m’entretenir de lui avec celle qu’il a tant aimée.