Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/380

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Tibulle soupirer les délices du cœur,
Scipion dédaigner les faisceaux du licteur,
César fuir son triomphe au fond de tes retraites,
Mécène y mendier de la gloire aux poëtes,
Brutus rêver le crime, et Caton la vertu :
Dans tes cent mille voix, fleuve, que me dis-tu ?
M’apportes-tu des sons de la lyre d’Horace ?
Ou la voix de César qui flatte et qui menace ?
Ou l’orageux forum d’un peuple de héros,
Dont la voix des tribuns précipitait les flots,
Et qui, dans sa fureur montant comme ton onde,
Trop vaste pour son lit, débordait sur le monde ?

Hélas ! ces bruits divers ont passé sans retour !
Plus d’armes, de forum, de lyre, ni d’amour !
Ce n’est qu’une eau qui pleut sur le rocher sonore,
C’est le fleuve qui tombe, et qui murmure encore !
Que dis-je ? il murmurait ; il ne murmure plus !
De leur lit desséché ses flots sont disparus !
Et ces rochers pendants, et ces cavernes vides,
Et ces arbres privés de leurs perles liquides,
Et la génisse errante, et la biche, et l’oiseau
Qui vient sur le rocher chercher sa goutte d’eau,
Attendent vainement que l’onde évanouie
Rende au vallon muet le murmure et la vie,
Et, dans leur solitude et dans leur nudité,
Semblent prendre une voix, et dire : Vanité !…

Ah ! faut-il s’étonner que les empires tombent,
Que de nos faibles mains les ouvrages succombent,
Quand ce que la nature avait fait éternel
S’altère par degrés, et meurt comme un mortel ;