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supplice les heures qu’il retranchait pour nous de la chasse, notre instruction ne pouvait pas s’étendre rapidement. Aussi se borna-t-elle, pendant l’année tout entière, à nous apprendre deux ou trois déclinaisons de mots latins dont nous ne comprenions même que la désinence. Le reste consistait à patiner l’hiver, a nager l’été dans les écluses des moulins, et à courir les noces et les fêtes des villages voisins, où l’on nous donnait les gâteaux d’usage dans ces circonstances, et où nous tirions les innombrables coups de pistolet qui sont partout le signe de réjouissances.

Je parlais le patois comme ma langue naturelle, et personne ne savait par cœur mieux que moi les chansons traditionnelles si naïves que l’on chante, la nuit, dans nos campagnes, sous la fenêtre de la chambre ou à la porte de l’étable ou couche la fiancée.


VI


Mais cette vie entièrement paysanesque, et cette ignorance absolue de ce que les autres enfants savent à cet âge, n’empêchaient pas que, sous le rapport des sentiments et des idées, mon éducation familière, surveillée par ma mère, ne fît de moi un des esprits les plus justes, un des cœurs les plus aimants, et un des enfants les plus dociles que l’on pût désirer. Ma vie était composée de liberté, d’exercices vigoureux et de plaisirs simples, mais non de dérèglements dangereux. On savait très-bien, à mon insu, me choisir mes camarades et mes amis parmi les enfants des familles les plus honnêtes et les plus irréprochables du village. Quelques-uns des