Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/104

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Mon père, plus indulgent par sa nature et plus influencé par les idées maternelles, ne se serait pas décidé de lui-même à m’exiler de Milly ; mais la persistance de mes oncles l’emporta. Ils étaient les rois de la famille et ses oracles, à peu près comme le bailli de Mirabeau dans la famille de ce grand homme. L'avenir de la famille était entre les mains de cet oncle, car il gouvernait ses frères et ses sœurs. Il n’était point marié ; il fallait le ménager. Son empire un peu despotique, comme l’était alors l’autorité d’un chef de maison, s’exerçait avec une souveraineté fortifiée par son mérite distingué et par la considération dont il était investi. Par prudence et par amour pour ses enfants, ma mère céda. Mon arrêt fut porté, non sans bien des temporisations et bien des larmes.

On chercha longtemps un collège où les principes religieux, si chers à ma mère, fussent associés a un enseignement fort et à un régime paternel. On crut avoir trouvé tout cela dans une maison d’éducation célèbre alors à Lyon. Ma mère m’y conduisit elle-même. J’y entrai comme le condamné a mort entre dans son dernier cachot. Les faux sourires, les hypocrites caresses des maîtres de cette pension, qui voulaient imiter le cœur d’un père pour de l’argent, ne m’en imposèrent pas. Je compris tout ce que cette tendresse de commande avait de vénal. Mon cœur se brisa pour la première fois de ma vie, et quand la grille de fer se referma entre ma mère et moi, je sentis que j’entrais dans un autre monde, et que la lune de miel de mes premières années était écoulée sans retour.