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XXX


Je voyais depuis quelque temps qu’elle me cachait je ne sais quoi de ses pensées. Elle avait des entretiens secrets avec ses jeunes amies les ouvrières. C’était comme un petit complot auquel on ne m’admettait pas.

Un soir je lisais dans ma chambre, à la lueur d’une petite lampe de terre rouge. Ma porte sur la terrasse était ouverte pour laisser entrer la brise de mer. J’entendis du bruit, de longs chuchotements de jeunes filles, des rires étouffés, puis de petites plaintes, des mots d’humeur puis de nouveaux éclats de voix interrompus par de longs silences dans la chambre de Graziella et des enfants. Je n’y fis pas grande attention d’abord.

Cependant l’affectation même qu’on mettait à étouffer les chuchotements et l’espèce de mystère qu’ils supposaient entre les jeunes filles excitèrent ma curiosité. Je posai mon livre, je pris ma lampe de terre dans la main gauche, je l’abritai de la main droite contre les bouffées du vent pour qu’elle ne s’éteignît pas. Je traversai à pas muets la terrasse, en assourdissant mes pas sur les dalles. Je collai mon oreille contre la porte de Graziella. J’entendis un bruit de pas qui allaient et venaient dans la chambre, des froissements d’étoffes qu’on pliait et qu’on dépliait, le cliquetis des dés, des aiguilles, des ciseaux de femmes qui ajustaient des rubans, qui épinglaient des fichus, et ces babillages, ces bourdonnements de fraîches voix que j’avais souvent entendus dans la maison de ma mère quand mes sœurs s’habillaient pour le bal.