Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/293

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La vérité, c’est que la France étonnée et consternée fut conquise par un des souvenirs de gloire qui intimidèrent la nation, et qu’elle ne fut rien moins que soulevée par son amour et par son fanatisme pour l’empire. Ce fanatisme, alors, n’existait que dans les troupes, et encore dans les rangs subalternes seulement. La France était lasse de combats pour un homme ; elle avait salué dans Louis XVIII, non pas le roi de la contre-révolution, mais le roi d’une constitution libérale. Tout le mouvement interrompu de la révolution de 1789 recommençait pour nous depuis la chute de l’empire.

La France entière, la France qui pense et non pas la France qui crie, sentait parfaitement que le retour de Bonaparte amenait le retour du régime militaire et la tyrannie. Elle en avait effroi. Le 20 mars fut une conspiration armée et non un mouvement national. Le premier sentiment du peuple fut le soulèvement contre l’audace d’un homme qui pesait sur elle du poids d’un héros. S’il n’y eût point eu d’armée organisée en France pour voler sous les aigles de son empereur, jamais l’empereur ne fût arrivé jusqu’à Paris. L’armée enleva la nation, elle oublia la liberté pour un homme ; voila la vérité. Cet homme était un grand général ; cet homme avait été quinze ans son chef ; cet homme était à ses yeux la gloire et l’empire ; voila son excuse, s’il y a des excuses contre une défection à la liberté. Ce fut la première fois de ma vie que je sentis dans mon âme un profond découragement des hommes. Je vis à huit jours de distance une France prête à se lever en masse contre Bonaparte et une autre France prosternée aux pieds de Bonaparte. Je savais bien que la soumission n’était pas volontaire, et que la prosternation n’était pas sincère ; je compris que les plus grandes nations n’étaient pas toujours hé-