Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conduisait le plus fréquemment des voyageurs. Il me nomma madame de Staël, dont les nombreux et illustres amis prenaient souvent asile chez lui en passant et en repassant la frontière. On sait que Coppet était le refuge de tous les amis de la liberté qui n’avaient pour protecteur depuis dix ans que le génie d’une femme. Il me nomma aussi le baron de Vincy, ancien officier supérieur suisse au service de la France. Il me montra son château, qui blanchissait à quelques lieues de là au pied des montagnes. Il m’en indiqua la route, et je résolus de m’y présenter.


VI


Le lendemain, je descendis au point du jour vers le lac du côté de Nyons. C’était au mois de mai ; le ciel était pur, les eaux du lac resplendissantes et tachées ça et là de quelques voiles blanches. L’ombre des montagnes s’y peignait du côté de Meilleraie avec leurs rochers, leurs forêts et leurs neiges. Je m’enivrais de ces aspects alpestres, que je n’avais fait qu’entrevoir une première fois quelques années auparavant. Je m’arrêtais à tous les tournants de la rampe, je n’asseyais auprès de toutes les sources, à l’ombre des plus beaux châtaigniers, pour m’incorporer, pour ainsi dire, cette splendide nature par les yeux. J’hésitais involontairement, d’ailleurs, à me présenter au château de Vincy. Je n’étais pas fâché de retarder l’heure d’une démarche qui m’embarrassait.