Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/304

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Je m’éloignai du château, et j’étais déjà dans les rues du village quand un domestique accourut derrière moi et me pria, de la part de madame de Vincy, de vouloir bien revenir sur mes pas. Je le suivis. Je trouvai la famille, composée de M. de Vincy, de sa femme et d’un fils de dix ou douze ans, qui m’attendait encore sur le perron. « Un regret nous a saisis, me dit d’une voix sensible et toute maternelle madame de Vincy : nous avons craint qu’étranger dans nos montagnes et fatigué d’une longue route à pied, vous ne trouviez pas dans le village une auberge où vous puissiez vous rafraîchir et vous reposer. Nous vous prions de prendre notre maison pour votre halte, de vouloir bien dîner avec nous. Nous allons nous mettre à table. Vous aurez tout le temps nécessaire pour vous rendre à Roll dans la soirée. » Je refusai quelque temps en m’excusant sur mon costume qui me rendait indigne de m’asseoir à leur table. On insista, et je cédai.

Pendant le dîner, qui était simple et sobre, dans une salle où tout attestait la splendeur évanouie d’un maison déchue de sa fortune, M. et madame de Vincy s’entretinrent avec moi de manière a bien se convaincre que j’étais en effet ce que je disais être. Le nom de ma famille leur était inconnu ; mais je voyais à Paris plusieurs personnes de leur connaissance. Les détails que je donnai dans la conversation sur ces personnes étaient de nature à prouver que je vivais en bonne compagnie. Mon antipathie instinctive contre Bonaparte était aussi une prévention favorable pour moi. Je vis, avant la fin du dîner, qu’il ne restait pas dans la famille le moindre soupçon sur mon compte. La loyauté de mon regard, la candeur de mon front, la simplicité de mes réponses, aidaient sans doute à la conviction. Après le dîner, je