Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/305

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remerciai madame de Vincy, je pris mon bâton et je voulus partir. Ces dames voulurent m’accompagner en se promenant jusqu’à une certaine distance pour me mettre dans le chemin de Roll. Elles firent environ une demi-lieue à travers les vignes et les bois avec moi. Le jour baissait, nous nous séparâmes.

Mais a peine avais-je fait quelques pas que je m’entendis rappeler de nouveau. Je revins : « Tenez, monsieur, me dit madame de Vincy, il est inutile de vous éprouver plus longtemps et de nous affliger nous-mêmes en vous abandonnant ainsi aux hasards des aventures, seul et dans un pays étranger. Vous nous intéressez ; vous semblez vous plaire avec nous ; ne nous quittons pas. Je me mets en idée à la place de votre mère. J’ai moi-même un fils de votre âge qui combat en ce moment dans les rangs de l’armée hollandaise, et qui est peut-être blessé, prisonnier, errant comme vous ; il me semble qu’en vous abritant je lui prépare pour lui-même un abri semblable dans la maison d’autrui. Revenez avec nous. Nous sommes ruinés, et la table est frugale, mais nous n’en rougissons pas. Un hôte de plus ne porte pas malheur à une pauvre maison. Vous vous en contenterez et vous resterez jusqu’à ce que les événements de l’Europe s’expliquent, et que l’on voie clair au delà de nos montagnes. »

Je fus profondément attendri de tant de bonté. Je rentrai au château comme si j’avais été de la famille. On me donna une chambre haute d’où mon regard plongeait sur le lac, des livres pour occuper mes heures. Au bout de très-peu de jours, mesdames de Vincy ne faisaient plus attention à moi. J’étais comme le fils de l’une, comme le frère de l’autre. Je les accompagnais tous les soirs dans de longues promenades à pied sur