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il est vaincu. Il n’y a pas de budget qui vaille un grain de foi pour acheter les âmes.

Madame de Virieu se hâta de placer son fils dans le collège de Belley. Ma mère m’y amena. Nous nous y rencontrâmes. Nos deux caractères avaient en apparence peu d’analogie. Il était gai, j’étais triste ; turbulent, j’étair calme ; railleur, j’étais sérieux ; sceptique, j’étais pieux. Mais il avait un cœur très-tendre sous son apparente rudesse, et un esprit supérieur qui aspirait pour ainsi dire de haut toute chose sans avoir la peine de rien regarder. Je ne le recherchai pas ; ce fut lui qui me rechercha longtemps sans se rebuter de mon peu de goût pour son étourderie spirituelle et de mon peu d’empressement à répondre à son amitié.

Cependant, à mesure que nous grandissions et que nos deux intelligences s’élevaient un peu au-dessus de la foule de nos camarades, notre intimité s’accrut davantage. Il s’établit entre lui et moi une espèce de confidence d’esprit par-dessus la tête de nos condisciples et même de nos professeurs. Il n’avait que moi pour l’entendre. Cet isolement du vulgaire nous jeta davantage dans l’entretien l’un de l’autre. Se bien comprendre, c’est presque s’aimer. Notre amitié un peu froide fut donc longtemps d’esprit avant d’être de cœur. Ce ne fut qu’après être sortis du collège, et en nous retrouvant plus tard dans l’âge des passions et des attendrissements, que nous nous aimâmes d’une complète et sensible affection.

À cette époque, Virieu, plus âgé que moi de quelques années, touchait l’adolescence. C’était une tête blonde et bouclée du Nord avec un front proéminent et sculpté à grandes bosses comme par le pouce de Michel-Ange. On y lisait plus de puissances diverses que de régularité et