Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/328

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homme maigre, un peu voûté, penchant sur sa poitrine un front couvert de cheveux noirs. Son teint était pâle et un peu cuivré ; son œil enfoncé se cachait sous de longs cils ; son nez aquilin et effilé était sculpté avec une admirable finesse. Ses lèvres minces se desserraient rarement. Une expression habituelle d’amertume et de dédain déprimait légèrement les coins de sa bouche. Son menton était coupé à angles droits comme la tête du cheval arabe. L’ovale de sa figure était allongé, flexible et gracieux. Il parlait peu. Il se promenait seul. Il se sentait par l’âge et par l’énergie du caractère au-dessus de nous. Ses camarades ne l’aimaient pas. Ses maîtres le craignaient. Il y avait du mécontent dans son silence et du conspirateur dans sa solitude.

Il ne dissimulait pas son mépris pour les exercices religieux auxquels on nous assujettissait. Il se vantait de son incrédulité et presque de son athéisme. Je me sentais de l’admiration pour son talent, de la compassion pour son isolement, mais peu de penchant pour sa personne. Il y avait dans son regard quelque chose du Faust allemand qui fascinait la pensée comme une énigme, arrachait l’admiration, mais qui repoussait l’intimité.

Aucun des hommes que j’ai connus n’avait reçu de la nature de si puissantes facultés. Son esprit était un instrument aiguisé et fort dont sa volonté se servait à tout sans que rien résistait. Il avait le don naturel du style, comme si sa plume eût suivi le calque des plus grands écrivains. Il était naturellement antique dans le discours, poëte harmonieux et sensible dans les vers, philosophe hardi et dominateur avant l’âge de la pensée. Nous pâlissions tous devant lui dans nos compositions. Seulement il péchait par excès de réminiscences et par un peu d’apprêt. Le naturel et l’improvisation plus vraie me