Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résolu à foudroyer les républicains, s’ils se hasardaient jusque dans ses gorges.

Le temps se passait à recevoir et à expédier des messagers déguisés qui liaient l’esprit contre-révolutionnaire de ces montagnes avec les émigrés de Savoie et les conspirateurs de Lyon ; à courir les bois à pied ou à cheval dans des chasses incessantes ; à s’exercer au maniement des armes ; à défier de loin les jacobins des villes voisines qui dénonçaient perpétuellement ce repaire d’aristocrates, mais qui n’osaient le disperser ; à veiller, à jouer et à danser avec la jeunesse des châteaux voisins attirée par le double charme de l’opinion, des aventures et du plaisir.

Bien que les jeunes personnes fussent mêlées à tout ce tumulte et abandonnées à leur seule prudence, il y avait entre elles et leurs hôtes des goûts, des préférences, des attraits mutuels ; mais il n’y avait aucun désordre ni aucune licence de mœurs. Le souvenir de leur mère et leur propre péril semblaient les garder mieux que ne l’eût fait la surveillance la plus rigide. Elles étaient naïves, mais innocentes ; semblables en cela aux jeunes filles des paysans, leurs vassaux, sans ombrage, sans pruderie, mais non sans vigilance sur elles-mêmes et sans dignité de sexe et d’instincts.

Les deux aînées s’étaient attachées et fiancées à deux jeunes gentilshommes du Midi, la troisième attendait impatiemment que les couvents fussent rouverts pour se consacrer toute à Dieu, sa seule pensée. Calme au milieu de cette agitation, froide dans ce loyer d’amour et d’enthousiasme, elle gouvernait la maison de son père comme une matrone de vingt ans. La quatrième touchait ft peine à sa seizième année. Elle était la favorite de son père et de ses sœurs.