Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/377

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montagnes. On lui voyait entre les mains des jouets qui paraissaient avoir été achetés à la ville. Quand on demandait à la pauvre femme pourquoi cette différence et à qui appartenait cet orphelin, elle répondait qu’elle l’avait trouvé un matin, sous le bois de hêtres, au bord de la source, en allant puiser l’eau du jour, et qu’un colporteur de ces montagnes lui apportait de temps en temps du linge blanc et des jouets d’ivoire et de corail. Cette charité l’avait enrichie. J'ai connu cet orphelin. Enfant de la proscription, il en avait la tristesse dans l’âme et sur les traits.

Cinq ou six ans après, la dernière des filles du comte fut mariée à un vieillard, le plus doux, le plus indulgent des pères pour la jeune fille. Elle se consacra à ses jours avancés. Il l’emmena pour toujours dans une petite ville du Midi, qu’il habitait. Son jeune compagnon d’exil, qui avait hésité jusque-là entre le monde et l’Église, sentit finir tout à coup ses irrésolutions en apprenant le mariage de la jeune fille. Il ne vit plus rien dans la vie à regretter. Il y renonça sans peine. Il entra dans un séminaire sans regarder derrière lui. Puis il alla se renfermer quelque temps chez l’évêque de Mâcon, son ancien patron, sorti alors des cachots, et achevant sa vie pauvre et infirme dans la maison d’un de ses fidèles serviteurs, à quelques pas de son ancien palais épiscopal. L’évêque lui donna les ordres sacrés. Il revint exercer les modestes fonctions de vicaire à Bussières. Il les avait continuées, comme je l’ai dit, jusqu’à la mort du vieux curé auquel il avait succédé.