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ments, des dégoûts de vivre, des envies de mourir que je pris pour des maladies du corps et qui n’étaient que la maladie de mon âme.

Le médecin de la famille, qui arrêtait quelquefois son cheval à ma porte en parcourant les villages, en fut alarmé. Il était bon, sensible, intelligent. Il s’appelait Pascal. Il m’aimait comme une plante qu’il avait soignée dans sa belle enfance. Il m’ordonna d’aller aux bains d’Aix en Savoie, bien que la saison des bains fût déjà passée et que le mois d’octobre eût donné aux vallées leurs premiers brouillards, et à l’air ses premiers frissons. Mais ce qu’il voulait pour moi de son ordonnance, c’était moins les bains que la diversion, la secousse morale, le déplacement. Hélas ! il ne fut que trop inspiré et trop obéi !

J’empruntai vingt-cinq louis d’un vieil ami de mon père, pauvre et aimable vieillard nommé M. Blondel, qui aimait la jeunesse parce qu’il avait lui-même la bonté, cette éternelle séve, cette inépuisable jeunesse du cœur. Je mis mon cheval en liberté avec les bœufs qu’on engraisse dans les prés de Saint-Point, et je partis. Je partis sans aucun de ces vagues empressements, de ces aspirations, de ces joies, que j’avais éprouvés en partant pour d’autres excursions, mais morne, silencieux, emportant avec moi ma solitude volontaire, et comme avec le pressentiment que je devais laisser quelque chose de moi dans ce voyage, et qu’au retour je ne rapporterais pas mon cœur.

Voici des lignes que j’écrivais à cette époque, ligues retrouvées sur les marges d’un Tacite :