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XXVII


(Écrite en route sous un arbre, dans la vallée des Échelles, à Chambéry.)

J’entre aujourd’hui dans ma vingt et unième année, et je suis fatigué comme si j’en avais vécu cent. Je ne croyais pas que ce fût une chose si difficile que de vivre. Voyons ! pourquoi est-ce si difficile ? Un morceau de pain, une goutte d’eau de cette source, y suffisent. Mes organes sont sains. Mes membres sont lestes. Je respire librement un air embaumé de vie végétale. J’ai un ciel éblouissant sur ma tête ; une décoration naturelle, sublime, devant les yeux ; ce torrent tout écumant de la joie de courir à ma gauche ; cette cascade toute glorieuse d’entraîner ses arcs-en-ciel dans sa chute ; ces rochers qui trempent leurs mousses et leurs fleurs dans la salutaire humidité des eaux, comme ces bouquets qui ne se flétrissent pas dans le vase ; la-haut, ces chalets suspendus aux corniches de la montagne comme des nids d’hirondelles au rebord du toit céleste ; ces troupeaux qui paissent dans l’herbe grasse qui les noie jusqu’aux jarrets ; ces bergers assis sur les caps avancés de la vallée qui regardent immobiles couler le torrent et le jour ; ces paysans et ces jeunes filles qui passent sur la route en habits de fête et qui, aux sons de la cloche lointaine, pressent un peu le pas pour arriver à temps à la porte de la maison de prière ; tout cela n’est-il pas image de contentement et de vie ? Ces physionomies ont-elles le pli pensif et la concentration de la mienne ? Non. Elles répandent un jour sans ombre sur leurs traits. On voit