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XXVIII


Au moment où j’écrivais ces tristes lignes sur mon genou, au bord de la route, une calèche de poste a passé au galop venant de France. Il y avait dans la voiture trois jeunes gens et une jeune femme. Ils m’ont regardé avec un regard de surprise et d’ironie : « Oh ! voyez donc, s’est écriée la jeune femme en souriant, voilà sans doute le poëte de cette nature ! Oh ! le beau poëte, s’il n’était pas si poudreux ! » Monde odieux, tu me poursuivras donc partout avec tes visions légères ? Je me suis déplacé pour ne pas être en vue..l’ai été nÿasseoir plus loin du bord de la route, sous une touffe de buis d’où je ne voyais plus la cascade, mais d’où je l’entendais, et j’ai continué à écrire.

Je ne me sens un peu de rosée dans le cœur que quand je suis bien seul avec la nature. Tout ce qui traverse seulement cette solitude trouble ou interrompt cet entretien muet entre le génie de la solitude, qui est Dieu, et moi. La langue que parle la nature à mon âme est une langue à voix basse. Le moindre bruit empêche d’entendre. Dans ce sanctuaire ou l’on se recueille pour rêver, méditer, prier, ou n’aime pas à entendre derrière soi un pas étranger. J’étais dans une de ces heures de mélancolie fréquentes alors, rares aujourd’hui, pendant lesquelles j’écoutais battre mon propre cœur, où je collais l’oreille à terre pour entendre sous le sol, dans les bois, dans les eaux, dans les feuilles, dans le vol des nuées, dans la rotation lointaine des astres, les murmures de la création, les rouages de l’œuvre infinie, et, pour ainsi dire, les bruits de Dieu.