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XXIX


Je me réfugiai donc, avec une certaine colère intérieure, contre ces éclats de rire importuns, hors de consonnance, qui m’avaient distrait. Je m’enfouis derrière un gros rocher détaché de la montagne et près de la gouttière immense et ruisselante par où le torrent pleuvait perpendiculairement dans la vallée. Son bruit monotone n’assourdissait, sa poudre, en rejaillissant, formait sur mon lit de gazon un brouillard transpercé de soleil qui s’agitait sans cesse comme les plis de gaze d’un rideau roulé et déroulé par le vent. Je repris ma conversation intérieure. Je m’abîmai dans ma tristesse. Je revins sur tous mes pas dans ma courte vie. Je me demandai si c’était la peine d’avoir vécu, et s’il ne vaudrait pas mieux être une des gouttes lumineuses de cette poussière humide évaporée en une seconde à ce soleil, et se perdant sans sentiment dans l’éther, qu’une âme d’homme se sentant vivre, languir, souffrir et mourir pendant des années et des années, et finissant par s’évaporer de même dans je ne sais quel océan de l’être, qui doit être plein de gémissements s’il recueille toutes les douleurs de la terre et toutes les agonies de l’être sentant.

« Je n’ai fait que quelques pas, me disais-je, et j’en ai assez ! Mon activité d’esprit se dévore elle-même faute d’aliment. Je sens en moi assez de force pour soulever ces montagnes, et ma destinée ne me donne pas une paille à soulever ! Le travail me distrairait, et je n’ai rien à faire ! Toutes les portes de la vie se ferment de-