Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/405

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tiques de la création. C’est notre rôle à nous, poëtes ou prosateurs malgré nous, rapsodes du poëme sans fin que la nature chante aux hommes et à Dieu ! Pourquoi m’accuser si vous vous excusez vous-mêmes ? Ne sommes-nous pas de la même famille de ces Homérídes qui racontent de porte en porte des histoires dont ils sont tour à tour et quelquefois tout ensemble les historiens et les héros ? Est-ce donc la nature de la pensée qui fait le crime de la publier ? Une pensée vulgaire, critique, sceptique, dogmatique, sera innocente en se dévoilant, selon vous ; un sentiment banal, froid, sans intimité, c’est-à-dire sans palpitation en vous, sans contre-coup dans les autres, ne violera aucune pudeur en se révélant ; mais une pensée pieuse, ardente, allumée au foyer du cœur ou du ciel ; mais un sentiment brûlant, jailli de l’explosion du volcan du cœur, mais un cri de l’âme éveillant, par son accent de vérité et de déchirement, d’autres cris sympathiques dans le siècle ou dans l’avenir ! mais une larme surtout ! une larme non feinte, une larme amère tombant des yeux au lieu d’une goutte d’encre de la plume ! oh ! voilà le crime ! voilà la honte ! voilà l’impudeur, selon vous ! C’est-à-dire que ce qui est froid et artificiel est innocent dans l’artiste, mais ce qui est naturel et chaud est impardonnable dans l’homme ! C’est-à-dire que la pudeur de l’écrivain consiste à dévoiler le faux, et l’impudeur à dévoiler le vrai ! Montrez-moi votre esprit si vous en avez ; mais votre âme pour entraîner la mienne ! oh ! l’indignité ! quelle logique !

Eh bien ! oui, cependant, vous avez raison au fond, mais vous ne savez pas le dire ; oui, il est parfaitement vrai qu’il y a des mystères, des nudités, des parties non pas honteuses, mais délicates et sensítives de notre âme, des profondeurs, des personnalités, des derniers replis