Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/41

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son servait à loger d’anciens domestiques retirés du service de mon grand-père, mais qui tenaient encore à la famille par de petites pensions qu’ils continuaient de recevoir, et par quelques services d’obligeance qu’ils rendaient de temps en temps à leurs anciens maîtres ; des espèces d’affranchis romains, comme chaque famille a le bonheur d’en conserver. Quand le grand hôtel fut mis sous le séquestre, ma mère se retira seule, avec une femme ou deux, dans cette maison. Un autre attrait l’y attirait encore.

Frécisément en face de ses fenêtres, de l’autre côté de cette ruelle obscure, silencieuse et étroite comme une rue de Gênes, s’élevaient et s’élèvent encore aujourd’hui les murailles hautes et percées de rares fenêtres d’un ancien couvent d’Ursulines. Édifice austère d’aspect, recueilli comme sa destination, avec le beau portail d’une église adjacente sur un des côtés, et, sur le derrière, des cours profondes et un jardin cerné de murs noirs et dont la hauteur ôtait tout espoir de les franchir. Comme les prisons ordinaires de la ville regorgeaient de détenus, le tribunal révolutionnaire de Mâcon fit disposer ce couvent en prison supplémentaire. Le hasard ou la Providence voulut que mon père y fût enfermé. Il n’avait ainsi, entre le bonheur et lui, qu’un mur et la largeur d’une rue. Un autre hasard voulut que le couvent des Ursulines lui fût aussi connu dans tous ses détails d’intérieur que sa propre maison. Une des sœurs de mon grand-père, qui s’appelait madame de Lusy, était abbesse des Ursulines de Mâcon. Les enfants de son frère, dans leur bas âge, venaient sans cesse jouer dans le couvent. Il n’y avait pas d’allées du jardin, de cellules, d’escaliers dérobés, de mansardes, de greniers ni de soupiraux de cave qui ne leur fussent