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mon chagrin, m’envoyait de temps en temps quelque petite somme épargnée, à l’insu de la famille, sur ce qu’on lui donnait par mois pour tenir sa maison ; elle savait que le grand air évapore seul les grandes douleurs et que le changement perpétuel de lieux guérit les fièvres du cœur comme il coupe les fièvres du corps. Elle redoutait pour moi la monotonie, l’uniformité et l’oisiveté plus rongeuse que la douleur de la maison paternelle et de la vie de Mâcon. Cependant, l’automne approchait, elle ne savait plus comment colorer mon éloignement sans cause aux yeux de mon père et de mes oncles. Il fallut revenir.


II


Je revins par Lyon. Je m’embarquai la sur un de ces bateaux qui remontaient et qui descendaient alors le cours de la Saône, conduits comme des traîneaux sur la glace du fleuve, par des chevaux qui galopaient dans les prairies dont il est bordé.

Couché à la renverse sur le pont, entre des ballots et des valises, je regardais la pointe du mât dessiner ses légères ondulations sur le ciel comme une aiguille noire s’avançant, par un mouvement insensible, sur le cadran de ma vie. De temps en temps, je me soulevais à la voix rauque du patron de la barque qui nommait les petites villes et les villages de la rive et qui demandait aux voyageurs si quelqu’un voulait descendre au port devant lequel nous passions. Je reconnaissais les noms familiers à mon oreille de ces charmants villages qui bordent le cours de la Saône, mon fleuve natal, les îles couvertes de forêts