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chose, me disais-je, qui sera si vite interrompu ? Et qu’importe que je traîne ici ou là-bas les heures suprêmes d’une existence qui s’est éteinte dans cette tombe et qui ne se rallumera jamais ? »


III


C’est dans ces pensées d’apaisement découragé et désintéressé de la vie que j'approchais insensiblement de Mâcon. Bientôt j’aperçus les hautes tours tronquées de son antique cathédrale se découpant en blanc sur le fond du ciel, et les treize arches régulières de son pont romain courant sur la largeur du fleuve comme une caravane qui traverse un gué à pas inégaux. La cloche du bateau appelait les voyageurs à monter sur le pont ou à en descendre. On voyait sur le quai des promeneurs insouciants s’accouder un moment sur les parapets pour regarder passer la barque sous l’arche étroite et bouillonnante ; deux ou trois groupes de parents ou d’amis qui attendaient des voyageurs pressaient un peu le pas sur la rive pour les devancer et les embrasser plus vite sur la planche du débarquement.

On se saluait, tout en marchant et en voguant encore, du cœur, du regard, de la voix et du geste, du pied du mât sur le rebord du quai. On reconnaissait, au rayon de joie sur les visages, à l’impatience des pieds sur le pont de la barque, à l’humidité des yeux, les degrés d’amitié, de parenté ou d’amour qui unissaient les cœurs encore séparés par quelques vagues. Je cherchais des yeux, dans ces groupes debout sur le quai, un visage connu, je n’en voyais point. Personne ne m’attendait à jour