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fixe. À la fin, et au moment où j’allais débarquer, ma valise légère sous le bras, je sentis mes jambes embrassées par les pattes et par les caresses d’un chien qui m’avait, comme celui d’Ulysse, pressenti et flairé Si distance, qui s’était élancé sur la planche, et qui me dévorait de joie au milieu de l’indifférence générale.

Je reconnus le vieux griffon de mon père, un chien d’arrêt nommé Azor, qui faisait partie de la famille depuis treize ou quatorze ans, et qui m’avait accueilli à mon retour du collège. C’est ce même animal qui m’avait débarrassé, sept ans auparavant, de mon entretien ossianique avec Lucy. Je l’embrassai, et je lui livrai une des courroies de ma valise pour l’empêcher de bondir entre les pieds des voyageurs. Puisque Azor était là, mon père ne devait pas être loin. Le chien me l’indiqua dès que nous fûmes à terre, en me tirant par sa courroie du côté d’une petite promenade ombragée de tilleuls et garnie de bancs de pierre voisins du lieu de débarquement. Mon père était venu à tout hasard s’y asseoir à l’heure où les barques passaient devant la ville ; il m’avait nommé deux ou trois fois à Azor, en lui montrant du geste la barque. Ce fidèle messager avait compris et accompli sa mission. Il me ramenait.

Mon père, qui n’avait alors que soixante-deux ou trois ans, paraissait dans toute la séve et dans toute la majesté de la vie. Il s’était levé de son banc aux hurlements joyeux d’Azor ; il avait la vue basse et il regardait du côté du port, sa lorgnette à la main, selon son habitude, pour voir si son chien lui amenait son fils. Je courus à lui et je tombai dans ses bras. Il avait bien la voix un peu émue et les yeux un peu humides en m’embrassant, mais il y avait une mâle fermeté jusque dans sa tendresse ; il respectait son ancien uniforme de