Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/417

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marche ferme, lente, régulière comme s’il eût entendu en marchant le tambour ou le clairon pour mesurer le mouvement et la distance de ses pas ; ses habits, de couleur bleue et de forme austère, n’avaient jamais ni recherche, ni couleurs éclatantes, ni négligence, ni abandon dans les plis. On y sentait le souvenir et la ponctualité de l’uniforme ; ses souliers à boucles ne lui pesaient pas assez aux pieds ; on voyait à sa marche qu’il croyait avoir à soulever encore les lourdes bottes à l’écuyère qu’il avait longtemps portées, et que le cheval d’escadron manquait à ses jambes. Il ne passait jamais devant lui un soldat ou un cheval sans qu’il s’arrêtât un moment et qu’il prît sa lorgnette pour regarder l’homme ou l’animal.

La guerre était sa patrie, la discipline sa vertu ; l’épée, le cheval, la selle, le harnais, son ambition, son souvenir, sa contemplation perpétuels. Au fond, il plaignait, sans les mépriser, toutes les autres professions de la vie humaine. Tous les métiers qui ont pour but le gain lui paraissaient assez vils, et, de tous les métiers qui ont pour but de gagner de l’honneur, il n’en connaissait qu’un : offrir ou verser son sang pour son roi ou pour son pays. Entre le militaire et le paysan, pour lui il n’y avait rien. Il regardait tout le reste comme les nobles polonais regardent les juifs de leur terre, race nomade, mercantile et usurière entre le peuple et eux. C’était le modèle parfait du gentilhomme de province, père de famille, chasseur, cultivateur, ami du peuple après avoir été l’ami du soldat. Tel était l’extérieur de mon père.