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V


Ses camarades de régiment, dont il y avait plusieurs dans la ville, et les hommes de la société, l’appelaient le chevalier de Lamartine. Les hommes du peuple et les hommes étrangers à son intimité l’appelait M. de Prat. C’était le nom d’une terre de famille en Franche-Comté, dont mon grand-père lui avait donné le titre, pour le distinguer de ses frères. On n’appelait ma mère que madame de Prat, et j’ai moi-même porté ce nom dans mon enfance jusqu’à la mort de l’aîné de mes oncles, à qui seul appartenait ce nom de famille.

Mon père, en me ramenant du bateau à la maison, me faisait traverser, avec un certain orgueil de tendresse paternelle, les rues les plus longues et les plus peuplées de Mâcon.

C’était l’heure où les oisifs de la petite ville sortaient, après leur dîner, au coucher du soleil, pour aller respirer la fraîcheur de l’eau en se promenant sur le quai, ou en s’asseyant sous les tilleuls du bord de la rivière. Il rencontrait çà et la quelques-uns de ses anciens camarades de régiment, de ses parents ou de ses amis de la ville. On l’abordait ; il me montrait ; il semblait fier des regards qu’on jetait sur moi du seuil des maisons ou des boutiques ; ce fils, aussi grand que lui, revenant de longs voyages, un peu maigri et un peu pàli par l’absence, mais attirant pourtant les yeux par sa taille, par sa chevelure, par sa ressemblance avec sa mère, par cette mélancolie même des traits qui ajoute un mystère à la physionomie, le flattait évidemment. Il