Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre, au Palais-Royal ou au faubourg Saint-Antoine, sur le peuple, quand on voulait le soulever pour quelque grande manifestation. Le marquis de Saint-Huruge n’était point féroce, pas même jacobin ; il était agité et agitateur. Du mouvement pour du mouvement, du bruit pour du bruit, voilà tout. Une célébrité de place publique, une voix de Stentor, une taille de géant, un geste de forcené..le l’ai encore vu, dans mon enfance, arriver à cheval chez mes parents, accompagné d’un aventurier polonais en costume étrange, à cheval aussi. On le recevait très-mal, et on le congédiait très-brutalement. Il était redevenu très-royaliste ; il n’avait jamais été terroriste ; il déclamait avec délire contre les scélérats qui avaient immolé Louis XVI, la reine, Madame Élisabeth, et tant de milliers d’innocents. Son attitude, ses cris, ses gestes, ses regards égarés, sont restés dans ma mémoire d’enfant. Quelque temps après il devint fou, ou l’on affecta de croire qu’il l’était. Bonaparte le fit enfermer à Charenton, où il est mort.

Ses trois sœurs, douces et saintes filles, étaient le contraste le plus touchant avec les opinions, les mœurs et la turbulence du marquis de Saint-Huruge. Dépouillées de leur fortune, de leurs asiles dans leurs couvents, elles vivaient pieusement ensemble dans une petite maison qui leur appartenait, à côté de la maison de mon grand-père. La plus jeune de ces trois sœurs était celle qu’avait aimée mon oncle. Douce, triste, gracieuse encore, on voyait dans sa physionomie ce reflet de l’amour refroidi mais non éteint par les années.