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de Paris, de voyage, il m’aima davantage encore. Ma figure lui plaisait parce qu’elle lui rappelait, disait-il, celle qu’il avait a mon âge. Il bâtissait d’avance de grandes espérances’sur mon avenir. Il déplorait l’obstination de mon oncle à me retenir oisif dans cette prison domestique d’une petite ville. Il aurait voulu qu’on m’ouvrît l’horizon de la vie active. Il me croyait capable d’agrandir dans la carrière militaire, la seule qui fût alors, la modeste considération de mon nom. Il gémissait de me voir m’éteindre entre quatre murs. Sa bourse m’était ouverte, toute tarie qu’elle fût, toutes les fois que j’avais un voyage à faire, un ouvrage à me procurer. Sa bibliothèque était la mienne ; j’y passais des matinées avec lui. Il me gardait souvent à dîner ; il m’entretenait avec cette confiance sérieuse d’un homme qui oublie l’inégalité qu’une différence de soixante années met entre les esprits. Mais il était pour moi un livre charmant, et, qui plus est, un livre aimant. Les heures, avec lui, ne me paraissaient jamais longues. Il n’avait rien du découragement et de la morosité de l’âge avancé. C’était un Aristippe de la vie humaine, toutes les années lui convenaient. Il ne voyait que le côté favorable des choses et des caractères. La nature avait complètement oublié le fiel dans la composition de son être. Optimisme vivant, sa philosophie, qu’il entretenait par la lecture et par la réflexion, était celle du dix-huitième siècle, tempérée par un grand sentiment de la Providence, philosophie qui s’en rapporte au créateur de la créature, et qui a pour morale le quod decet des anciens, la convenance, cette morale de ceux qui ne veulent rien choquer. En politique, il était indifférent ; il ne croyait pas qu’un système valût la perte d’un ami. Tel était le charmant vieillard qui vécut encore douze ans après