Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/515

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celui-là. La bonté est la vertu toute faite. On ne travaille sur soi-même toute sa vie, par des efforts ou des préceptes surnaturels, que pour arriver à cette perfection, que certains êtres ont reçue en naissant. Mon oncle avait reçu ce don, et les seuls défauts, bien légers, qui fissent ombre en lui, étaient encore des grâces, car ils n’étaient que les excès ou les faiblesses gracieuses de cette bonté. On peut juger si j’étais heureux auprès de lui.

Voir lever le soleil sur les cimes des chênes du parc ; ouvrir ma fenêtre pour que les hirondelles vinssent voltiger librement sous le plafond ; lire, dans mon lit, les vieux livres de la bibliothèque, aux bruits de vie qui montaient de la cour d’honneur ou de la cour de la ferme ; entendre les clochettes du bouc qui guidait le troupeau de moutons sortant après la rosée essuyée ; me lever pour déjeuner, avec mon oncle, de la crème de ses vaches et du miel doré de ses ruches ; perdre mes paroles et mes pas avec lui, du salon à la bibliothèque, des étables au jardin ; rentrer aux heures brûlantes ; ressortir seul avec un fusil ou un livre sous le bras quand le soleil baissait un peu, ou monter mon cheval sauvage à crins soyeux, touffus, pendants, épars jusque sur les épaules, et qui lui voilaient les yeux ; m’enfoncer au galop dans les sainfoins en fleur ; descendre après dans les gorges encaissées au fond des bois, où il fallait, pour se glisser sous les branches, se coucher sur l’encolure du cheval ; errer ainsi sans but, découvrant tantôt une clairière, tantôt une source, tantôt une famille de chevreuils effrayés du bruit ; me perdre volontairement pendant des heures entières pour me retrouver à quelques lieues du château ; revenir au pas à la fraîcheur du soir ; dîner, causer, lire, écouter les aventures de la vie d’abbé à Versailles et a Paris, dans l’ancien régime ; m’assoupir à ces récits, et,