Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/79

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m’exaltait ni ne m’humiliait jamais par ces comparaisons dangereuses. Elle pensait avec raison qu’une fois mes forces intellectuelles développées par les années et par la santé du corps et de l’esprit, j’apprendrais aussi couramment qu’un autre le peu de grec, de latin et de chiffres dont se compose cette banalité lettrée qu’on appelle une éducation. Ce qu’elle voulait, c’était faire en moi un enfant heureux, un esprit sain et une âme aimante, une créature de Dieu et non une poupée des hommes. Elle avait puisé ses idées sur l’éducation d’abord dans son âme, et puis dans Jean-Jacques Rousseau et dans Bernardin de Saint-Pierre, ces deux philosophes des femmes, parce qu’ils sont les philosophes du sentiment. Elle les avait connus ou entrevus l’un et l’autre dans son enfance chez sa mère ; elle les avait lus et vivement goûtés depuis ; elle avait entendu, toute jeune, débattre mille fois leurs systèmes par madame de Genlis et par les personnes habiles chargées d’élever les enfants de M. le duc d’Orléans. On sait que ce prince fut le premier qui osa appliquer les théories de cette philosophie naturelle à l’éducation de ses fils. Ma mère, élevée avec eux et presque comme eux, devait transporter aux siens ces traditions de son enfance. Elle le faisait avec choix et discernement. Elle ne confondait pas ce qu’il convient d’apprendre à des princes, placés au sommet d’un ordre social, avec ce qu’il convient d’enseigner à des enfants de pauvres et obscures familles, placés tout près de la nature dans les conditions modestes du travail et de la simplicité. Mais ce qu’elle pensait, c’est que, dans toutes les conditions de la vie, il faut d’abord faire un homme, et que, quand l’homme est fait, c’est-à-dire l’être intelligent, sensible et en rapports justes avec lui-même, avec les autres hommes et avec Dieu, qu’il soit prince ou