Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/99

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cette galerie. Nous venions de Milly cinq ou six enfants tous les jours, quelque temps qu’il fît. Plus la température était pluvieuse ou froide, plus le chemin était pour nous amusant à faire et plus nous le prolongions. Entre Bussières et Milly, il y a une colline rapide dont la pente, par un sentier de pierres roulées, se précipite sur la vallée du presbytère. Ce sentier, en hiver, était un lit épais de neige ou un glacis de verglas sur lequel nous nous laissions rouler ou glisser comme font les bergers des Alpes. En bas, les prés ou le ruisseau débordé étaient souvent des lacs de glace interrompus seulement par le tronc noir des saules. Nous avions trouvé le moyen d’avoir des patins, et, à force de chutes, nous avions appris à nous en servir. C’est là que je pris une véritable passion pour cet exercice du Nord, où je devins très-habile plus tard. Se sentir emporté avec la rapidité de la flèche et avec les gracieuses ondulations de l’oiseau dans l’air, sur une surface plane, brillante, sonore et perfide ; s’imprimer à soi-même, par un simple balancement du corps, et, pour ainsi dire, par le seul gouvernail de la volonté, toutes les courbes, toutes les inflexions de la barque sur la mer ou de l’aigle planant dans le bleu du ciel, c’était pour moi et ce serait encore, si je ne respectais pas mes années, une telle ivresse des sens et un si voluptueux étourdissement de la pensée que je ne puis y songer sans émotion. Les chevaux même, que j’ai tant aimés, ne donnent pas au cavalier ce délire mélancolique que les grands lacs glacés donnent aux patineurs. Combien de fois n’ai-je pas fait des vœux pour que l’hiver, avec son brillant soleil froid, étincelant sur les glaces bleues des prairies sans bornes de la Saône, fût éternel ainsi que nos plaisirs !

On conçoit qu’en telle compagnie et par une telle