Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


» Songe au passé, songe à l’aurore
De ce jour orageux levé sur nos berceaux ;
Son ombre te rougit encore
Du reflet pourpré des ruisseaux.
Il t’a fallu dix ans de fortune et de gloire
Pour effacer l’horreur de deux pages d’histoire.
Songe à l’Europe qui te suit,
Et qui, dans le sentier que ton pied fort lui creuse,
Voit marcher, tantôt sombre et tantôt lumineuse,
Ta colonne qui la conduit !

» Veux-tu que sa liberté feinte
Du carnage civique arbore aussi la faux,
Et que partout sa main soit teinte
De la fange des échafauds ?
Veux-tu que le drapeau qui la porte aux deux mondes,
Veux-tu que les degrés du trône que tu fondes,
Pour piédestal aient un remords ?
Et que ton roi, fermant sa main pleine de grâces,
Ne puisse à son réveil descendre sur tes places
Sans entendre hurler la mort ?

» Aux jours de fer de tes annales
Quels dieux n’ont pas été fabriqués par tes mains ?
Des divinités infernales
Reçurent l’encens des humains ;
Tu dressas des autels à la Terreur publique,
À la Peur, à la Mort, dieux de ta république :
Ton grand prêtre fut ton bourreau !
De tous ces dieux vengeurs qu’adora ta démence,
Tu n’en oublias qu’un, ô peuple ! la Clémence !
Essayons d’un culte nouveau.